Voilà déjà deux mois que nous sommes partis. L’automne venait tout juste de pointer le bout de son nez lorsque la voie pour dégolfer s’est ouverte. Début octobre, nous partons. Les embrassades sont poignantes : nous laissons à quai des êtres chers et nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Nous sommes 8 à bord. Notre petite famille dort dans la coque tribord. Nos invités s’installent à bâbord. Il y a d’abord Noé et Aourégan (aka « Aou ») que nous appelons « les jeunes ». Noé est le cousin germain de Gwénolé, il a tout juste 27 ans et vient de rendre sa thèse en Biologie Marine. Enfin, il lui reste encore à la passer à l’oral… dans quelques semaines ! Aou est sa compagne et infirmière. Ils veulent rejoindre la Nouvelle-Calédonie sans prendre l’avion. Nous allons très probablement faire un petit bout de chemin avec eux !
Puis, il y a Corentin et Caroline, Coco et Caro. Coco est un super copain d’école de Gwénolé. Il a fondé le Low Tech Lab et est un sacré aventurier. Il parcourt le monde depuis plus de dix ans avec l’objectif de trouver d’autres manières de vivre et de faire plus sobre, utile et respectueuses de l’environnement. Si cela vous intéresse, il raconte ses premières aventures dans un livre nommé « Les aventures de Tara Tari ». Il y a aussi une web-série sur Arte qui documente son tour du monde des Low tech avec Nomade des Mers.
Avec Caro, ils ont un nouveau projet : Biosphère 2. Comment être autonome dans un désert ? Nous avons donc pour objectif de les débarquer en Baja California au Mexique. La deadline est serrée : ils doivent être le 1 er décembre là-bas. Espérons que Zaï Zaï nous y emmènera dans de bonnes conditions !
Voilà pour l’état des lieux. Nous allons au Mexique à 8, coté Pacifique. Nos deux filles sont en formes. Le bateau aussi, il sort tout juste d’un petit chantier. Nous embarquons à bord beaucoup de vivres, de quoi tenir deux mois sans aucun problème.
Semaine 1 : S’amariner
Nous partons dans de bonnes conditions. Le vent est de face les premières heures, la mer est formée de 1,5 ou 2 mètres, le bateau tape un peu mais c’est tout à fait supportable. Aou, Caro et Julie sont malades la première nuit. Cléo s’endort rapidement et se met dans le bain dans la foulée. Julie récupère le jour suivant et rejoint sa sœur dans ses activités.
Aou et Caro mettront 36 à 72 heures pour s’amariner totalement. Le bateau est en mouvement, ce n’est pas toujours facile de cuisiner, lire ou faire une activité, sans compter les quarts de nuit qui fatiguent ! Au bout de quelques jours, tout le monde prend son rythme. Les activités, la cuisine et nos longs échanges battent leur plein. Nous partageons des références de livres, de podcasts (je mettrai une liste à la fin de cet article), de films documentaires.
Dès la première semaine, les températures remontent ! Au bout de quelques jours, nous rangeons nos polaires et nos grosses couettes ! Nous n’oublions pas de faire un peu de sport, courons à l’avant dès que les dauphins jouent dans nos étraves et nous passons un temps fou à regarder les couchers de soleil, toujours aussi dingues au large. Rien que pour ça, le voyage vaut le détour !
Semaine 2 : Les activités du bord
Les filles se lèvent et nous orchestrons joyeusement leurs activités scolaires. Julie s’exerce à la lecture, Cléo apprend l’alphabet et à compter. C’est agréable car elles aiment cela et en redemandent ! Elles participent beaucoup avec nous à l’élaboration des repas – bon, surtout des gâteaux ! – C’est un temps que nous passons en famille tous les 4, pendant que le reste de l’équipage se repose après leurs quarts de nuit. Les filles déjeunent tôt et filent au temps calme dans leur banette.
Pendant ce temps-là, nous déjeunons entre adultes et échangeons sur nos dernières lectures ou écoutes. Évidemment, nos débats tournent souvent autour de la quête de sobriété et les low techs ! Nous essayons de « philosopher », tournons les choses en dérision et en positif pour imaginer une société nouvelle, revisitée. Le film documentaire « Manger nous ménera à l’exctinction » pousse ces débats à son paroxysme !
Si bien que lorsque nous pêchons un espadon de 2 mètres, au lieu de fêter cette magnifique prise, nous pleurons ! Nous avons hésité à le relâcher bien sûr, mais avons finalement décidé d’aller jusqu’au bout et préparons bientôt près de 30 kilos de bocaux, .. dans une forme de culpabilité et de gêne ! Tout ceci sera relaté très bientôt dans notre nouvelle saison de podcasts.
Le sujet de l’écologie est partout, il fallait s’y attendre avec Coco et Caro à bord ! Si nous pensions être bien plus sobres qu’avant, … force est de constater que nous sommes loin du compte lorsque nous les regardons faire. Ils sont un cran au-dessus. Ce n’est vraiment pas de leur fait et rien de ce qu’ils font ou disent ne moralisent ! Bien au contraire, ils s’assurent d’être positifs ! Eux-mêmes ne veulent pas devenir la « conscience écologique » de leurs potes.
Nous en profitons pour en faire un petit « audit low tech » bien sympa !
L’après-midi, les filles partagent les passions de nos invités. Elles parlent biologie, observent le plancton au microscope et dissèquent un poisson avec Noé . Elles découvrent l’anatomie et font des spectacles avec Aou, font du théâtre et cultivent des champignons avec Caro, font des boutures de plantes, brodent une licorne sur leur robe et s’occupent des larves de mouches soldat noir avec Coco ! Elles font du parc à bout avec Gwéno et des ateliers philo avec moi ! On se marre bien.
Sans oublier les stops en plein milieu de l’océan pour nager pendant que Gweno fait de la wing !
Pendant ce temps-là, la navigation est soutenue !
Semaine 3 : Quand la fatigue se pointe …
Le bateau file à 10 nœuds de moyenne. Même la nuit, nous faisons des pointes à 15 nœuds. Nous devons rester dans notre routage pour tenir l’objectif initial. Nous changeons tout de même de configuration de voile en pleine nuit quand le vent monte. Le gennaker ou le spi est remplacé par le génois. Quand le bateau file dans la nuit noire, avec tous les bruits entendus dans les coques, ce n’est pas toujours facile de trouver le sommeil ou dormir paisiblement.
Avec Gwéno, nous avons parfois du mal à passer du temps tous les deux, nous nous croisons. Entre les filles, les quarts, l’écriture du livre pour moi, la navigation pour Gwéno, etc… le rythme tire un peu ! Nous en parlons avec l’équipage et aménageons nos journées.
Nous continuons de cuisiner de bons petits plats au four solaire. Nous sommes enchantés de ce nouveau système à bord. Nous avons divisé notre consommation de gaz par deux. Nous faisons des gratins, des gâteaux, du pain avec ce four magique !
La vieille de l’arrivée, après 21 jours de traversée, nous échangeons : l’objectif d’aller déposer Coco et Caro en Baja avant le 1er décembre parait très ambitieux. Zaï Zaï peut tenir le rythme, mais c’est plutôt l’humain qui accuse le coup. Les réflexions plus « intellectuelles » pour imaginer un autre monde, c’est super, naviguer comme des bourriques c’est génial, … mais en fait ca tire un peu… nous ne sommes pas des machines. Ne devenions-nous pas ralentir ?;-)
Nous rêvons d’arriver à Cariacou et nous poser dans notre secret spot pendant deux semaines ! Ce n’est pas au programme. Pour tenir les délais, nous devons nous arrêter 2 jours (tout au plus) pour repartir vers le Panama, passer 3-4 jours aux San Blas avant de passer le canal, puis remonter au moteur dans la foulée vers les Chiapas et la Basse Californie, à savoir que pour remonter vers le Mexique, les vents ne sont pas favorables.
Nous sentons que nos filles vont aussi avoir besoin de temps à terre.
Face à ce constat, nous remettons sur la table le plan B prévu dès le départ : déposer Coco et Caro au Mexique, coté caraïbes !
Semaine 4 : Martinique
Nous arrivons à Sainte-Anne en Martinique après 22 jours de navigation. Nous sommes heureux de cette première étape parcourue. Il y a quelques petites choses à réparer avant de repartir mais rien de grave. Nous faisons une grosse machine à laver, un bon restaurant et le plein de frais pour repartir. La météo n’est pas bonne : nous sommes encore en pleine période cyclonique et l’un d’eux nous guette en fin de parcours, sans compter le près pour y aller tout du long !
Et puis, avec Gweno, nous constatons que nous n’avons pas encore eu le temps de nous reposer tous les quatre. Nous proposons donc de rester quelques jours supplémentaires, afin d’attendre une météo favorable d’une part, nous détendre en famille d’autre part.
Nous prenons un long weekend pour nous prélasser, nous balader sur la côte au vent, monter aux arbres (nouvelle passion des filles), et prendre soin de nous – oui, nous avons acheté des bâtons de cire que nous avons fait bruler dans nos oreilles pour les laver, façon low tech ! Expérience amusante, pas transcendante non plus ! 😉 – voir photo ci-dessus.
Nous repartons le 7 novembre, avec une super météo !
Semaine 5 et 6 : Vers le Mexique, Arrivée à Isla Mujeres
En chemin, nous fêtons l’anniversaire de Cléo ! Elle a quatre ans. Elle invite, à l’aide de sa soeur, tous ses copains adultes à la fête ! Nos mamans avaient, avant notre départ, glissé un petit cadeau de construction en bois, avec un paquet de chocolat. Nous préparons un gâteau de crêpes, nous déguisons pour l’occasion et organisons une MA-GNI-FIQUE chasse au trésor !
Nous naviguons 9 jours. Les conditions sont idéales. Mer plate, 15 nœuds de vent. Gwéno teste une nouvelle configuration : pas de Grand-Voile, le Génois et le gennak en ciseau. Ca marche du tonnerre.
Et puis… nous voyons la terre. Enfin la terre… plutôt les hauts immeubles aperçus au loin. Nous apercevons donc Cancun en premier lieu, puis l’île de Isla Mujeres, juste en face !
Nous arrivons de nuit et mouillons le bateau en dehors de la baie principale, heureux de cette deuxième étape réussie.
Le lendemain, nous découvrons enfin les premiers paysages. C’est plutôt joli ! Avant de nous rapprocher et d’aller faire les papiers en ville, nous allons nager autour du bateau. Sous l’eau, c’est magnifique : un aquarium géant ! Cela nous fait du bien de nous dégourdir les palmes après cette longue traversée. Mais au bout de 10 minutes, nous voyons arriver 2 gros bateaux professionnels avec une vingtaine de touristes habillés de leurs gilets orange et leurs frites fluo. Ils marchent sur le corail en tenant leur ti punch dans la main droite. On relève la tête, les bateaux mettent la musique à fond. Génial !
Photos d’une attente interminable à faire les papiers au Mexique…
Après 3 jours de papiers, nous découvrons l’île (700 m de large sur 7 km de long). Elle a été ravagée. Tout est bétonné, construit ou presque. Des nouveaux hôtels se montent juste à côté d’autres en ruine… le sud de l’île est à peu près conservé mais les passants n’hésitent pas à balancer leurs « goodies » et autres verres en plastique en plein milieu des restes d’un temple Maya. Gweno se sent comme prisonnier d’un grand Ikea en pleine heure de pointe un samedi.
On appelle quelques copains bateaux. L’un d’eux, rencontré l’année passée aux Canaries – actuellement au Panama- , nous demande : « mais qu’est-ce que vous foutez à Isla Mujeres ? ». Rires.
Pendant ce temps-là, Coco et Caro préparent leur débarquement sur le continent pour se rendre en Baja. Ils organisent leur mètre cube de matériels pour le déposer sur une palette, récupérée ensuite par un transporteur qui leur livrera directement sur place. Ils s’apprêtent à prendre un bus : 27 heures pour aller jusqu’à Mexico city, puis 24 heures à nouveau pour aller en Baja. Nous nous embrassons et espérons les retrouver en Baja au printemps prochain. Bon vent les amis !
Semaine 7 et 8 : Départ Isla Mujeres pour le Bélize
Coco et Caro sont partis pour la Baja. Et maintenant ? Nous avons deux options :
- Option 1 : Nous savons maintenant que le Mexique coté caraïbes n’est pas adapté au voyage au bateau ! Nous pouvons faire une importation temporaire du bateau (nous ne pouvons pas rester plus de deux semaines au Mexique sans cette importation) – encore au moins un jour de papier 😉 – et nous mettons le bateau dans une marina (ce qui coute assez cher) pour aller se balader dans le Yucatan pendant un mois.
- Option 2 : Nous pouvons partir vers une nouvelle destination même si nous rêvons de nous poser enfin. Il y a le Belize à 36 heures de navigation. Après une transatlantique et une transcaraibes, nous ne sommes plus à deux jours près.
Sauf que nous allons exploser notre budget en laissant ici à la marina pendant 1 mois , sans compter que nous avons besoin de travailler et de gérer et notre administratif jusque mi-décembre.
Nous choisissons donc l’option de fuir vers le Bélize. Nous proposons à Noé et Aou qui cherchaient alors un plan « woofing » de les embarquer à bord selon les mêmes conditions. En échange du gite et du couvert, ils nous filent un coup de mains avec les filles une partie de la journée ! Ils acceptent avec joie. Regardez sur les photos comme ils ont l’air heureux ! 😉
Ravis de cette décision donc, nous partons d’isla Mujeres et nous faisons route vers San Pedro. Après une petite trentaine d’heures, nous voilà arrivons dans un magnifique lagon. Bingo, pas de tourisme de masse en vue. ;-). Faire les papiers est rapide. Les gens sont adorables, très accueillants. Ils font des blagues en permanence mais nous ne les comprenons pas toujours… On se remet au wingfoil, on nage, on prend des infos et on se met en route vers les îles !
Je vous écris ici de Caye Caulker où nous sommes posés – enfin- pour les quinze prochain jours. Ici, nous sommes bien. Les filles sont au top, nous nous reposons. Nous trouvons petit à petit notre nouveau rytnme et c’est bien précieux pour nous d’avoir Noé et Aou à bord. Le matin, les filles nagent et font l’école avec eux, pendant que nous avançons sur nos différents projets en-cours. L’après-midi, nous arpentons l’île, naviguons, découvrons les fonds sous-marins riches et colorés et faisons de belles rencontres.
Voilà pour les nouvelles. Suite au prochain épisode !
Références des lectures, podcasts écoutés, films & documentaires :
Quelques Films – Dessins animés partagés tous ensemble :
- La Belle verte de Colline Serreau
- Manger nous mène à l’extinction, de Otto Brockway, Ludo Brockway
- Le sens de la fête de Éric Toledano, Olivier Nakache
- Tellement proches de Éric Toledano, Olivier Nakache
- Vaiana, la légende du bout du monde, Moi Moche et Méchant, L’âge de Glace, Les aventures de Tintin au Tibet – avec les filles
Lectures :
- Où est le sens de Sebastien Bolher
- Le bug Humain de Sebastien Bolher
- Etre ecofeministe, théories et pratiques de Jeanne Burgart Goutal
- Figures du communisme de Frédéric Lordon
- Vagabond des mers du sud de Bernard Moitessier
- Walden ou la vie dans les bois de Thoreau
- Attentat de Amélie Nothomb
- Samouraï de Fabcaro et nous avons relu toutes ces bd ou presque
- Guirec et Monique, de Guirec Soudée
- Courrier sud de Antoine Saint-Exupéry
- Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une de Raphaelle Giorando
- Femme gelée de Annie Ernaux – roman autobiographique assez pesant avec une écriture laconique et un style très épuré mais j’ai été très émue par le constat implacable et saisissant qu’elle fait de son enfance, de sa maternité, sa vie de femme.
- L’étranger, d’Albert Camus
- Le vieil homme et la mer, Ernest Hemingway
- Avec les filles : Les malheurs d’ysengrin / L’histoire de la vie, du Big Band jusqu’à toi de Mes encyclos p’tits (Genial !!!) / Comtes de femmes courages, libres et sages de Marilyn Plénard
Podcasts :
- Un podcast à soi – Trop bien !!!
- Série documentaire LSD sur France Culture
- Les baladeurs, the others – series aventure
- Emotions de Louie
- Camille Etienne, invitée dans IN POWER
- La terre au carré
- Le temps d’un bivouac
- Philosophy is sexy
- Les pieds sur terre
- Les aventures du petit Nicolas et Les odyssées (à partager avec les enfants)