Résumé des 3 derniers mois : Belize, Honduras, Panama

Vendredi 24 février 2023, il est 07 :47 du matin (heure panaméenne) et je me réveille avec le cou légèrement raidi des plongées précédentes. Ou c’est peut-être l’apéro d’hier soir… passé avec une sympathique famille française en voyage venue « boire un coup » avec leurs trois enfants sur le bateau.

Nous sommes ancrés sous le vent de Bandup, petite île des San blas. Ibin, un kuna restaurateur établi sur l’île a préparé des pains coco qu’il nous faudra aller chercher dans quelques minutes.

Gwéno regarde l’anémomètre : 19 nœuds, rafales à 25. Il étale la crème solaire sur son visage, enfile son lycra et gonfle son aile. Il me dit « je prends ton matériel de wingfoil, je reviens dans une demi-heure. Si le vent baisse, tu viens avec moi ? »

J’hésite. Il y a cet article que je veux faire depuis des semaines. Disons plutôt une brève pour donner quelques nouvelles du bord. Je voudrais surtout dire que tout va bien, mais avec l’école des filles, les traversées, les rencontres, l’entretien de Zaï Zaï, notre vie en bateau qui demande une organisation bien particulière et les sessions de wing ou d’apnée, je remets systématiquement cet exercice à plus tard.

Je regarde le plan d’eau. Quel paysage ! Comment résister à une petite session de wing foil avec Gwéno ? Ses parents sont là depuis 3 semaines, ils nous proposent gentiment de faire l’école aux filles. OK, go !

Julie vient de se lever. Elle incite pour me réciter fièrement sa nouvelle blague inventée la veille : « Il y a deux bonhommes qui discutent. L’un d’eux dit qu’il a le mal de terre. Il touche le sol et dit « Aïe ! ». Tu as compris ?! »

Voilà donc comme je vous le disais, tout va bien à bord.

Quelques heures plus tard, je reprends ici la rédaction de mon article. Après la joyeuse navigation dans les holandes cayes et un bon repas, nous avons fait route vers l’Isla Tigre, bien plus proche du continent et des montagnes. Le temps est donc plus couvert, le mouillage venté. Contrairement aux îles précédentes, ici, les habitations sont en nombre, des petites paillotes s’entassent les unes à côté des autres.

Nous voyons passer les lanchas remplies d’enfants. Levées de leur sieste, Julie et Cléo chantent à la proue du bateau et crient à tue-tête « Hola » à chaque approche. Demain, on va fêter la révolution avec le peuple Kuna !  L’excitation est à son comble. Je tente de m’isoler pour écrire quelques lignes.

Il me semble que dans la dernière brève, nous vous avions laissé plus ou moins à Isla Mujeres au Mexique. Une île magnifique, mais entièrement colonisée (ravagée ?) par l’homme et qui traine une maladie probablement incurable : le tourisme de masse. Il nous a été tellement désagréable de faire face à nos propres contradictions, que pour abréger nos souffrances, nous avons filé en direction du Bélize, embarquant avec nous Noé et Aou.

Pour rappel, Noé est le cousin de Gwéno. Il a 27 ans et avec sa chérie Aourégan, ils ont embarqué à bord de Zaï Zaï au départ de Lorient. Leur plan : rejoindre la Nouvelle-Calédonie par la voie maritime. Nous les avons très vite adoptés. Des grands frères et sœurs pour nos filles, des plus jeunes pour nous. Ils cherchaient un moyen économique de voyager entre les escales. Le woofing en est un. Le principe est simple : en échange de quelques heures d’aide, ils bénéficient du logis et du couvert. Il y a un site qui recense toutes les offres et les demandes dans le monde : https://www.workaway.info/ 

On y trouve beaucoup de projets très chouettes, de permaculture – rénovation de ferme – ou construction d’écoquartiers, mais à faire défiler la liste, on peut aussi vite rencontrer des propositions ambiguës, loufoques et dont certaines se vêtissent de salariat déguisé :  « Viens construire ma maison en brique 6 heures par jour, sans eau, ni électricité et tu pourras profiter de mon lopin de terre au bord de la route en plein cagnard ! Allez viens, on est bien ! ». Quoi qu’il en soit, nous avons tout de suite adhéré au principe et leur avons proposé de nous aider avec l’école des filles en contrepartie d’un voyage dans les îles reculées du Bélize. Ce qu’ils ont accepté sans attendre. Et là où ils sont vraiment très bons ces jeunes, c’est qu’ils ont écrit un récit sur nos aventures au Bélize et au Honduras ! Il nous a bien fait marrer et il illustre parfaitement notre journal de bord (merci les petits choux 😉 : ils y racontent l’école, les plongées, la vie à bord, les rencontres, les mésaventures, les otites de Gweno, la pêche, les ateliers coutures et bricolage, les navigations, les soirées endiablées avec les pêcheurs locaux, sans compter cette fameuse expérience de plongée en bouteille pour moi qui aurait peut-être pu mal tourner …

Extrait de l’article de Noé, à retrouver sur leur blog :

« L’appel de la plongée bouteille se faisant sentir, Aou et moi allons négocier avec le club du coin. Oui, négocier une plongée à trois, avec moi, Aou et Anne-Laure, comme Gwéno a l’oreille dans le sac. Le hic, c’est qu’Anne-Laure n’a fait qu’un baptême, où la monitrice lui tenait le détendeur tout du long ! Le gars est super pro, donc un peu frileux, mais finalement il accepte. Le lendemain 12h30, nous voilà en combi dans le bateau en plongée, le gars nous donne des explications, il forme Anne-Laure aux signes de communication sous-marine de base, fait un rappel pour tout le monde du fonctionnement du matériel, etc. Sauf que, mauvaise nouvelle, ses managers ont appelé, et lui ordonnent de ne pas faire plonger des gens qui n’ont pas payé le séjour « all inclusive ». (…) Le gars est désolé, alors il dit « écoute, ya bien le petit Chris de l’hôtel là-bas, demandez-lui de vous emmener plonger ! ».

Le Chris en question a l’air d’avoir 20 ans à peine, il nous précise qu’il n’est pas professeur, mais que « I can get you anywhere you want ». Ok, pour la sécu on repassera, mais bon il inspire pas mal confiance. Il part avec sa moto à remorque en quête de matériel, son pote nous rejoint avec un bateau et hop, c’est parti !

Au moment de se mettre à l’eau, le Chris réalise que la STAB (gilet stabilisateur) d’Anne-Laure est trouée, même complètement déchirée en fait. Il lui donne la sienne, et nous amène pour la première plongée d’Anne-Laure sans diplôme et sans STAB ! Yiiiiihoooo !

C’est une super plongée, qui commence dans 4 m sur le récif, puis nous fait suivre sur le tombant pendant 25 min avant de retourner sur le récif en passant par des canyons sous-marins foisonnants de vie.

Le truc c’est qu’Anne-Laure n’a aucune notion des profondeurs, des paliers de décompression, et autres règles de sécurité qui sont fort utiles aux plongeurs souhaitant remonter vivants à la surface. Donc au premier requin gris aperçu dans les profondeurs, la voilà partie en piqué vers le grand bleu ! Heureusement, elle s’arrête vers les 25m. On en rigole bien en sortant de la plongée, mais sur le coup j’avoue avoir flippé. Elle nous dira « Ouah, mais c’était fou, je voyais les requins gris passer au fond j’étais en mode « Allez, on y va ! je ne voulais pas m’arrêter ! ».

J’ai ri à la lecture de ce passage ! Oups.

J’adore plonger en apnée et la seule chose qui me fait remonter à la surface, c’est mon corps et mon souffle. Mais avec la bouteille, tout est bien différent. Les sensations ne sont plus les mêmes. Tout à coup, tes poumons ont des réserves d’air. Ma formation au préalable n’a clairement pas été assez fournie et j’ai pris le sujet manifestement un peu trop à la légère. Noé, Aou et le Chris géraient pour moi les profondeurs en tapant sur leur bouteille pour me rappeler à l’ordre. « Cliclic clic clic ».

Il faut vraiment que je passe mes diplômes !

Noé et Aou ont mis plein de photos et ont raconté des tas d’anecdotes. C’est super sympa à lire, vous pouvez trouver l’article ici : VII. Belize & Honduras

Noé et Aou sont partis après le réveillon. Nous sommes restés 15 jours supplémentaires au Honduras en attendant une bonne fenêtre météo pour descendre au Panama. Nous avons eu une navigation très musclée les premiers jours avec des pêcheurs un peu partout au large du Honduras, sans AIS. Arrivés au Panama, nous nous sommes installés une quinzaine de jours dans une marina pour préparer le passage dans le Pacifique en attendant les parents de Gwéno.

balade dans la jungle panaméenne, avec des petits copains suédois rencontrés à la marina

Début février, nous avons fait route vers les îles des San Blas, à la rencontre du peuple Kuna.

Comme dirait Gwéno, « ils sont bien décalés ». En gros, il y a très très longtemps, un peuple arrivé de Colombie s’est installé sur les îles des San Blas. Leur culture est forte : ils éduquent seuls leurs enfants pour leur apprendre le principal, cultivent des cocotiers, pêchent, cousent des molas – qui constituent alors leurs plastrons et tuniques dont les femmes se vêtissent quotidiennement-. Ils sont apparentés au régime panaméen, mais en 1925, ils se rebellent. Ils ne veulent pas mettre leurs enfants à l’école sur le continent et cherchent une forme d’autonomie. Ils se battent pour obtenir leur indépendance. Le drapeau rouge et jaune avec la « croix gammée » à l’envers porte leur histoire, cette révolution dont ils sont si fiers.  Rien à voir donc avec l’emblème du nazisme d’Hitler qui a piqué la croix en l’inclinant à 45° sur un disque blanc et dénaturé le symbole.

Nous venons de terminer la fête de la révolution ici à Isla Tigre. Une fête de deux jours où les sages du village cherchent à transmettre l’histoire de leur peuple aux plus jeunes, grâce à la danse, le chant, le théâtre.  Ainsi, ils conservent leurs coutumes. Leurs enfants ont fait des études et se sont battus pour gérer eux-mêmes le tourisme de leurs îles. On y trouve essentiellement des bateaux de voyage. Le charter n’est théoriquement pas accepté. Pas d’hôtels en vue. Seulement quelques cabanes en bois pouvant accueillir les touristes les plus assidus en quête d’expériences uniques sur une île déserte. Ainsi, l’endroit est exceptionnellement préservé.

Nous échangeons des noix de coco contre de l’eau ou des cahiers et des stylos pour les enfants. Ils nous apprennent à faire de l’huile de coco, nos enfants jouent au foot dans les villages, nous leur achetons des molas pour contribuer à leur économie locale et collaborative. Le tout semble fonctionner même s’ils vivent dans des conditions bien plus précaires que les nôtres. Toujours, ils gardent le sourire. Nous sommes touchés par l’engagement de ces gens qui transmettent à leurs enfants l’importance de se battre pour conserver des traditions, de rester collectivement mobilisés pour leur statut d’autonomie, en marge d’un système capitaliste et la société de consommation qui rôdent à seulement quelques dizaines de kilomètres de là.

Ce qui nous intrigue, c’est la façon dont ils vont évoluer compte tenu de la montée des eaux et de l’attrait de l’attrait de la civilisation avec les gratte-ciel de Panama City à deux heures de trajet. Ont-ils un plan pour se rapatrier sur des îles plus hautes ou à terre dans les années à venir ?

Parce que pour développer leur économie locale, ils n’ont pas vraiment eu le choix et ont dû raser la mangrove (qui ralentissait l’érosion) pour planter des cocotiers. Peut-être qu’Elon Musk et Jeff Bezos ont un super plan pour eux !??

Sans parler des déchets qu’ils reçoivent en MASSE sur les côtes au vent de leurs îles. (oui, l’idée des majuscules est de moi, c’est un « levier marketing », une façon d’insister lourdement). Faute de pouvoir les traiter, ils en font abstraction et à la vue de la montée des eaux, c’est très probablement le cadet de leurs soucis. Mais quand même, c’est franchement PÉNIBLE pour eux et pas très JUSTE dans le sens où ils font tout pour vivre le plus sobrement possible ! Alors en ce qui nous concerne, ça donne à bien réfléchir chacun de nos achats. En gros, tout ce dont on n’a pas besoin – et qui est donc tôt ou tard jeté – termine plus ou moins là à pourrir et à asphyxier les océans.

Oh la RELOU, elle ne va pas s’y mettre à nous saouler avec l’écologie ! Bah oui, je voulais éviter – surtout que même si on change de plus en plus nos façons de faire, on est encore bourrés de contradictions – mais je le fais quand même parce que ça me fait du bien de l’écrire !! C’est exutoire. Comme je voulais terminer sur une note joyeuse, voici une photo des filles qui ont échangé leurs vêtements avec de jeunes Kunas et une photo de Gwéno qui me fait un massage aux épaules pour me détendre !

Et maintenant ? Nous prévoyons de rester dans les îles jusque fin mars, passage du canal début avril, puis standby météo pour la transpacifique.

Arrivés en Polynésie pour de nouvelles aventures, les filles retrouveront l’école et ce sera l’occasion pour nous de diversifier nos activités, et aussi de raconter nos récits de voyage avec le podcast !

À très bientôt,

On vous embrasse,

Nos précédentes aventures