Transpacifique de Zaï Zaï – Journal de bord du 17 avril 2023

On a reçu quelques nouvelles du bord envoyées depuis Zaï Zaï ! 

Lundi 17 avril 2023

« Lever 4h00 du matin, je relève Noé de son quart. Ciel étoilé, vent soutenu et régulier. 143 degrés du vent, gennaker ( !?) et GV 1 ris, 10 nœuds de moyenne au 260°.
Position : 08°14 S – 101°32 W. Batteries : 63,6%.
Un voilier dans notre Nord – Est fait route à 8 nœuds au 264 et croise derrière.

Nous sommes partis de Panama un vendredi. Il faisait gris. Ou c’est peut-être un nuage de pollution intégré à la ville … constaté en s’éloignant petit à petit.  Les cargos – qui pour la grande majorité, sont remplit de biens de consommation dont la production et le transport contribuent au désastre écologique – se trouvent en nombre dans la rade, voilà pourquoi il y est interdit de mettre les voiles. L’air de rien, nous hissons la GV, talonné par Mo Pea, un bateau de copains rencontré quelques jours plus tôt. Pas plus de deux minutes plus tard, un garde-côte nous aborde et nous demande expressément – à coups de mégaphone – d’affaler sous peine d’une amende salée. Résignés, nous faisons route au moteur jusqu’à ce que le nuage gris ne soit plus qu’un mauvais souvenir.

Nous voilà partis à l’assaut du Pacifique !

Je mets la ligne de pêche – nous n’avons emporté à bord que des lentilles et des œufs en guise de protéines, il nous faudra du poisson en plus si nous voulons survivre !! –  et quelques minutes plus tard, bingo, cela mord. Nous remontons un thazard tacheté de 5 kilos. La nuit tombe, il est si gros que je lève les filets dans la jupe à la frontale accrochée à la filière. Je mets plus d’une heure à dépecer toute la viande qui nous fera la semaine !

Vite, nous choisissons une organisation solide et stable. Noé et Aou’ sont des habitués puisque Zaï Zaï a déjà été leur vaisseau de Bretagne jusqu’en Amérique centrale. En échange du gîte et du couvert, ils reprennent l’école des filles – 1 heure par jour – pour le plus grand plaisir de Julie et Cléo. Nous partageons les quarts de nuit et ceux de la journée, en fonction des repas, de l’école et des temps de repos de chacun. Je tombe sur le quart 4h – 7h du matin et je suis très heureuse de me lever tôt pour écrire, lire, faire parfois un peu de yoga à l’avant, apercevoir le soleil se lever, mettre la ligne de pêche et surtout accueillir Julie et Cléo au réveil qui me rejoignent avec leurs grands sourires prête à me couvrir de câlins.

La première semaine, les conditions se révèlent exceptionnelles ! Un petit flux de vent nous pousse à une allure de 7 nœuds en moyenne en route directe sur une mer d’huile, courant avec nous. Zai Zai, à plat, file fièrement sous voiles vers les Galapagos. Nous en profitons pour cuisiner au solaire. Je fais le pain le matin pendant mon quart avec les filles que je mets au four jusqu’à 10h30/11h. Puis on enchaine ! Oui, chaque rayon de soleil est pour nous une opportunité précieuse de cuisson. Une fois qu’on est piqué et qu’on a pris le rythme, cela devient un jeu et plus question d’utiliser le gaz !

Imaginez une plateforme sur une mer à perte de vue – à peine quelques vibrations de temps à autres –qui glisse, on dirait presque qu’elle ne touche pas l’eau. Le pont est notre terrasse et le décor nous laisse pantois. Cet océan qui se prolonge à l’infini nous donne une sensation de liberté. Pas de panneaux de signalisations, pas de publicités, pas de contraintes – si ce n’est celles que l’on s’impose, régulées par les éléments naturels – nous traçons une route au gré de nos envies. C’est un répit énorme ! Une bulle familiale au beau milieu d’un parc naturel géant où la vie est encore sauvage. Nous n’avons pas encore pu observer de baleines mais nous pouvons voir virevolter une multitude d’oiseaux, sauter des dauphins et autres gros poissons au loin, et quand la nuit vient, le plancton fluorescent, les chasses s’organisent et les poissons volants font la course. Julie et Cléo apprécient d’autant cet intervalle au large parce qu’il n’y a pas d’interférences, que l’on passe des heures à bouquiner les uns sur les autres, à jouer aux Dominos et se faire exterminer à Piratak, inventer des recettes de gâteaux, danser sur Orelsan et organiser des apéros. Le kiff ultime ! Voilà pourquoi nous aimons le large et avec lui, la possibilité de demeurer déconnectés. Nous nous remercions chaque jour d’avoir su résister à la tentation de nous fournir une antenne Starlink, chose qui inonde le marché à une vitesse folle – je précise qu’en quelques mois, une grosse partie de la flotte de bateaux de voyage s’est équipée de cette technologie imparable, internet partout dans le monde et en illimité pour moins d’une centaine d’euros. Mais nous reviendrons bientôt sur le sujet.

Au large, nous avons un forfait iridium qui nous permet surtout des échanges textes et réceptions fichiers météos. Si nous voulons des nouvelles du front, il faut que nous les demandions, impossible de tenir une vraie conversation téléphonique et encore moins de regarder un contenu vidéo sur les réseaux sociaux.

Même si un stop rapide nous dit bien – le temps d’une petite immersion dans l’eau histoire de nager avec les otaries, suivie d’un tour à terre pour recharger les cales en fruits et légumes -, nous passons avec un vent soutenu les îles des Galapagos en fin de journée, aussi nous décidons de ne pas nous y arrêter. Il faut dire que les formalités d’entrées sont particulièrement drastiques et hors de prix ce qui nous fait renoncer à contre-cœur à cet endroit célèbre pour sa faune aquatique unique.

Après cinq jours de nav’ au top de la pop et sans l’ombre d’un moteur, nous voilà en approche du pot au noir.  Le vent tombe. Misère. C’est le cœur gros que nous décidons d’allumer le moteur tribord quelques heures durant. Puis à nouveau le lendemain, nous allumons le moteur bâbord. L’enjeu : ne pas rester collés dans la molle et raccrocher le wagon qui devrait nous emmener récupérer la route des alizés. Finalement, nous ferons seulement 6 ou 7 heures de moteur en tout alors que les routages prévoyaient presque 2 jours. Nous repartons l’air satisfait dans un petit flux trankilou bilou et passons dans l’hémisphère sud sans encombre. On se fait cueillir à base de grains ici et là. En guise de bizutage (mignon), Gweno décide de nous envoyer à l’avant du bateau prendre une douche en maillot de bain sous une pluie torrentielle. Houhouuu ! Évidemment, Julie et Cléo partent à poil à toute allure, enchantées par cette sentence.   Si les grains ne sont jamais trop méchants – pas plus de 20 nœuds -, les éclairs ne nous rassurent pas. La première nuit, nous passons aux cotés de pêcheurs, l’un d’eux pêche avec une lumière éblouissante. Alors que nous passons à plus d’un mille de lui, l’eau est éclairée par le fond. De loin, on dirait une soucoupe volante posée sur l’eau. Lunaire.

Ce que j’omets de dire ici, c’est que la mer n’est plus du tout aussi plate. Cela fait deux jours que nos corps se sont ramollis. Le bateau encaisse les vagues de travers et il est devenu impossible de faire cuire quoi que ce soit au solaire, pêcher ou faire une aquarelle de qualité. Ne craignons pas les mots, on se fait secouer. Julie et Cléo s’habituent presque tout de suite. Nous mettrons un peu plus de temps. C’est à ce moment-là qu’elles nous persuadent de regarder Lilo et Stitch.

Enfin, côté lectures, nous enchainons les styles mais en ce moment, on aime le genre « engagé ». Un bouquin a demandé toute notre attention –dévoré par tous les membres de l’équipage de plus de 6 ans dans les premiers jours de nav’ -, « Sois jeune et tais-toi » écrit par Salomé Saqué. C’est un travail remarquable sur la jeunesse. Pas seulement. Il nous apprend aussi tant et tant sur l’époque dans laquelle nous vivons. J’ai lâché une petite larme, avant même qu’elle fasse entrer l’éléphant dans la salle. – Il faut dire que je suis sensible, surtout depuis que je suis devenue maman ! Le contenu de cet essai a nourri l’ensemble de nos repas les premiers jours, des débats enflammés, qui n’en n’étaient pas vraiment puisque nous étions tous d’accord. Si j’y reviendrais plus tard, je ne peux que vous recommander chaudement de le lire. Vous pouvez aussi emprunter « Ralentir ou périr » de Thimothée Parrique, ma lecture en-cours, contenu tout aussi édifiant (et surtout aisé à comprendre) sur l’enjeu de la décroissance – ou post-croissance ! Ambiance ;-).

Nous faisons route vers les Gambiers, mais il n’est pas exclu que l’on aille aux Marquises si la météo ne nous permet plus de passer. Nous le saurons dans quelques jours.
Le jour se lève, je vais mettre ma ligne et régler un peu les voiles avant que Gweno n’arrive parce qu’on est quand même censés être sous spi depuis le début de mon quart, et tout ça est un peu négligé…

Prenez soin de vous,
Kenavo ! »

Nos précédentes aventures